Marié, deux enfants
René Labat prépare le concours à la faculté des Lettres de l'Université de Bordeaux et obtient l'agrégation de grammaire en 1928. Après son service militaire (1928-1932), il entre comme pensionnaire à la Fondation Thiers à Paris et suit les enseignements des assyriologues Charles Fossey et Vincent Scheil, tous deux directeurs d'études à l'EPHE, le premier à la Ve Section, le second à la IVe. Dès cette époque, René Labat manifeste son intérêt profond pour les civilisations du Proche-Orient ancien et pour les textes cunéiformes. Il réalise l'importance de leur signification historique et de leur valeur littéraire, qui peuvent être interprétées et comprises seulement par une analyse philologique cohérente et approfondie de la documentation textuelle. Il rédige deux ouvrages qui révèlent aussi bien sa maîtrise des langues antiques que de la méthode historique, L'akkadien de Bogaz-Köi (1932), une thèse qui lui permettra d'obtenir le diplôme de l'EPHE, et les Commentaires assyro-babyloniens sur les présages (1933). Ces publications affirment son autorité scientifique dans les milieux académiques spécialisés.
En 1933, René Labat succède au P. Scheil, à la chaire d'Assyriologie de la IVe Section de l'EPHE, où il conserve son enseignement même quand, en 1952, il devient professeur au Collège de France. Afin de renforcer la discipline et d'en assurer la continuité dans le cadre de l'EPHE, il avait fortement soutenu la création d'une deuxième chaire dans la même section, qui sera occupée par Jean Bottéro. Pendant ces années d'enseignement des langues et des littératures du Proche- Orient ancien – assyro-babylonien, sumérien, hourrite, élamite – à l'EPHE, René Labat réalise une série de nouvelles recherches philologiques, linguistiques et historiques, s'ouvrant explicitement vers l'histoire des religions et des conceptions idéologiques et politiques des sociétés mésopotamiennes, ainsi que vers l'étude de leurs savoirs scientifiques et pratiques. Ces travaux donneront lieu à des publications marquantes pour l'évolution de la discipline assyriologique, démontrant le rôle fondamental tenu par la civilisation cunéiforme mésopotamienne dans le développement des cultures et des formes de la pensée dans les mondes antiques. Il présente au milieu scientifique français une édition philologique et une traduction du Poème babylonien de la création (1935), suivie en 1938 par une étude sur l'idéologie politique mésopotamienne, Le caractère religieux de la royauté assyro-babylonienne, qui, avec Les hémérologies et ménologies d'Assur, constitueront le dossier de sa thèse d’État. C'est sans doute aussi pour aider à la formation de nouvelles générations d'assyriologues que René Labat publie en 1948 la première édition du Manuel d'épigraphie akkadienne, suivie par d'autres, ouvrant ainsi l'accès à un savoir très spécialisé, jusqu'alors réservé à une minorité, à un public beaucoup plus large. Ce manuel, dans son édition la plus récente, est encore aujourd'hui le plus utilisé par les étudiants francophones. Sans jamais renoncer à la qualité scientifique de ses recherches assyriologiques ni sacrifier la précision de sa méthode philologique, René Labat, grâce à ses capacités de synthèse et l'excellence de son style, a par ailleurs développé une stratégie d'édition de textes et de publications lui permettant de communiquer et d'échanger avec succès avec des interlocuteurs divers, même hors du milieu des spécialistes du cunéiforme. Il a ainsi stimulé tant le renouvellement et l'approfondissement de certaines connaissances – par exemple, en histoire des sciences et de la médecine ou en linguistique – que leur diffusion dans la culture générale.
Son ouverture et son dynamisme intellectuel, sa production scientifique ainsi que la reconnaissance de sa place éminente dans le monde académique, lui permettent d'accéder à la chaire d'Assyriologie du Collège de France en 1953, prenant la succession d'Édouard Dhorme dans une position qui avait été tenue, auparavant, par son propre maître, Charles Fossey. Il y dirige le Cabinet d'Assyriologie et y continue son travail d'édition de textes et ses recherches suivant la même double orientation et inspiration : d'une part il publie en 1956 le Traité akkadien de diagnostics et de pronostics médicaux et en 1965 Un calendrier babylonien des travaux, des signes et des mois ; d'autre part il produit, en 1961 une édition de L'Épopée de Gilgamesh, et, en 1963/1964, les chapitres XXIX et XXXII sur l'histoire de l'Élam dans la Cambridge Ancient History, ainsi que, en 1966, un chapitre de la Fischer Weltgeschichte (vol. IV). En 1970 il prépare, pour l'anthologie Les Religions du Proche-Orient Asiatique, les traductions et les commentaires des textes littéraires les plus importants de la culture assyro-babylonienne, présentés de façon critique et dans leur contexte historique. En 1965 il est élu vice-président du Collège de France, ainsi que président de la Société Asiatique. En 1968, René Labat est élu à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Son dernier grand ouvrage, écrit en collaboration avec D. O. Edzard, est dédié aux Textes littéraires de Suse (1974). En 1973, il est Président du XXIXe Congrès International des Orientalistes.
Les études et les travaux de René Labat ont représenté une étape majeure dans le développement de l'assyriologie de l'après-guerre en France et en Europe. Ils ont élargi les champs du savoir historique sur les civilisations proche-orientales antiques couverts par la discipline, à l'horizon des changements qui modifiaient progressivement l'organisation des sciences humaines, laissant entrevoir l'importance que prendront, par la suite, l'interdisciplinarité et la pluridisciplinarité. Sans entrer directement dans le débats suscités par l'intégration de la linguistique, de la sémiologie et de la critique littéraire dans le milieu académique, restant fidèle à sa pratique de la philologie comme méthode privilégiée pour faire de l'histoire, René Labat a su par ailleurs donner à l'assyriologie – et aux littératures et savoirs cunéiformes en particulier – une résonance nouvelle, très laïque, la libérant, de façon définitive, de ses liens traditionnels et confus avec les études bibliques et théologiques. Sa grande érudition et ses compétences linguistiques et philologiques lui ont permis de lire, de comprendre, d'interpréter et d'expliquer sans hésitation et avec confiance des textes cunéiforme de typologie, de forme et de formats très différents, écrits dans des langues diverses – tous véhiculant des aspects de la culture, de la religion, de l'idéologie, des savoirs scientifiques qui constituaient l'objet de ses recherches. Il a ainsi donné à ses successeurs et à ses élèves une base solide et sûre, pour commencer leur propre travail d'étude sur ces civilisations. Par son esprit critique, mais aussi par ses capacités de synthèse et de communication efficace, mûries sans doute aussi par l'enseignement et la direction de recherches, René Labat a pu reconstruire et présenter ce qui, des cultures antiques, est encore compréhensible et utile dans le monde moderne. Il a donné ainsi une nouvelle visibilité aux cultures proche-orientales, au delà des préjugés d'un certain orientalisme, les situant avec autorité dans le cadre des civilisations dont la culture de l'Occident moderne est une des dernières formes et productions.
Livres
- L'akkadien de Bogaz-Köi, Bordeaux : Delmas, 1932.
- Commentaires assyro-babyloniens sur les présages, Bordeaux : Delmas, 1933.
- Le Poème babylonien de la création, Paris : Maisonneuve, 1935.
- Le caractère religieux de la royauté assyro-babylonienne, Paris : Maisonneuve, 1938.
- Les hémérologies et ménologies d'Assur, Paris : Maisonneuve, 1938.
- Un almanach babylonien, Paris : Maisonneuve, 1943.
- Manuel d'épigraphie akkadienne, Paris : Imprimerie nationale, 1948 (rééd. 1948, 1952, 1959 et 1963). Nouvelle édition par R. Labat et F. Malbran-Labat, Paris : Geuthner, 2002.
- Traité akkadien de diagnostics et de pronostics médicaux, Leiden : Brill, 1956.
- Un calendrier babylonien des travaux, des signes et des mois, Paris : Champion, 1965.
- Textes littéraires de Suse, en collaboration avec D. O. Edzard, Mémoires de la Délégation archéologique en Iran, LVII, Paris : Geuthner, 1974.
Ouvrages collectifs
- « Les sciences en Mésopotamie », dans Histoire générale des Sciences, vol. I, Paris : PUF, p. 73-138, (dont p. 103-138 en collaboration avec R. Caratini).
- « L’Orient ancien, (l'Épopée de Gilgamesh) », dans Les écrivains célèbres, Paris : Mazenod, 1961, p. 75-137 et 184-188. - « Elam c. 1600-1200 », Cambridge Ancient History II, chap. XXIX (1963), et « Elam and western Persia », vol. II, chap. XXXII, Cambridge Ancient History II (1964).
- « Assyrien und seine Nachbarländer (Babylonien, Elam, Iran) von 1000 bis 617 v/ Chr. », chap. I et « Das neubabylonische Reich bis 539 v. Chr., Fischer Weltgeschichte, vol. IV, Die Altorientalische Reiche », Frankfurt am Main : Fischer Bücherei, 1966 ; ouvrage publié également en anglais et en italien.
- « Les grands textes de la pensée babylonienne » dans Les Religions du Proche-Orient Asiatique, Paris : Fayard/Denoël, 1970, p.13-349.
La bibliographie générale de R. Labat, comportant plus de 75 titres (articles et études) et une cinquantaine de comptes rendus critiques, se trouve dans O. Rouault, « Bibliographie des travaux de René Labat », Journal Asiatique 262 (1974), p. 259-264. Les comptes rendus annuels des conférences et des cours de R. Labat à l’EPHE et au Collège de France sont publiés respectivement dans l’Annuaire de l’École Pratique des Hautes Études, IVe section et dans l’Annuaire du Collège de France.
Membre du Conseil National de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (1970-1972)
Membre de la Section Langue et Civilisation du Proche-Orient au CNRS (1964-1972)