Famille juive installée en Lorraine depuis le milieu du XVIIIe siècle. Les ancêtres paternels sont issus du ghetto de Darmstadt et ont adopté à la Révolution le nom de famille Darmstädter, transposé en Darmesteter. Son père, Cerf Darmesteter (1811-1868), est relieur. Sa mère, Rosalie Brandeis (1814-1888) est issue d'une famille de Prague, qui a compté des rabbins, des docteurs et des soldats. Des quatre enfants, un garcon (Achille) et une fille (Sarah) meurent en bas âge. Le frère aîné, Arsène, naît à Château-Salins le 5 janvier 1846 et mourra à Paris le 16 novembre 1888. Les deux frères feront des études similaires, qui les conduiront à l'EPHE. Arsène Darmesteter, linguiste et romaniste, se spécialisera en langue et littérature françaises du Moyen Age, et en histoire de la langue française. En raison d'une maladie infantile, James restera de constitution chétive et de santé fragile.
Marié en 1880, avec la poétesse et essayiste anglaise Mary F. Robinson (1857-1944)
En 1852, le père d'Arsène et James Darmesteter décide d'installer sa famille à Paris, dans le quartier du Marais, pour donner la meilleure éducation possible à ses fils. Comme son frère aîné, James D. suit d'abord l'enseignement donné par le consistoire israélite (Talmud Torah),, mais il continue ensuite dans le pensionnat dirigé par Joseph Derenboug, puis au lycée Charlemagne et au lycée Bonaparte, où il fait de très brillante études, jusqu'en 1868 : baccalauréat ès lettres et baccalauréat ès sciences. Après la licence ès lettres, et un temps d'hésitation entre plusieurs voies, James D. suit les traces de son frère, et s'inscrit à la section SHP de l'EPHE le 1er novembre 1872. Il étudie la grammaire comparée avec Michel Bréal et le sanskrit avec Eugène-Louis Hauvette-Besnault et Abel Bergaigne. Aux langues apprises au lycée, à l'hébreu et l'araméen cultivés pendant ses études talmudiques, il ajoute l'arabe et le persan. Il est orienté par Bréal vers les études iraniennes, afin de reprendre les travaux délaissés depuis Eugène Burnouf (1801-1852), qui avait le premier restitué la langue de l'Avesta, la langue sacrée du mazdéisme, comme apparentée à l'indo-aryen le plus ancien, celui du Veda. Il passe élève titulaire de l'EPHE, section SHP, le 26 juin 1873. James D. participe activement aux conférences de Bréal sur le dictionnaire étymologique du latin et devient membre de la Société de Linguistique de Paris en novembre 1873. Il est diplômé de l'EPHE en 1875 grâce à un mémoire sur deux des "immortels bienfaisants" de la mythologie zoroastrienne (Haurvatât et Ameretât. Essai sur la mythologie de l'Avesta), puis docteur ès lettres en 1877, grâce à un ouvrage dans lequel il analyse le dualisme mazdéen dans le cadre indo-iranien (Ormazd et Ahriman, leurs origines et leur histoire).
Répétiteur de "langue zende" (= avestique et iranien ancien), à partir du 21 octobre 1877, à l'initiative de Michel Bréal. Directeur-adjoint sur la même chaire, nommé le 26 août 1880, puis directeur d'études, à partir du 26 octobre 1893.
1885-1894 : professeur au Collège de France, chaire de "Langues et littératures de la Perse".
Membre de la Société de Linguistique de Paris, élu le 20 novembre 1873. Président de la SLP en 1887.
Membre de la Société Asiatique, à partir de 1875. En 1882, il est nommé secrétaire, en remplacement d'Ernest Renan ; il est notamment chargé de la publication du rapport annuel sur la production orientaliste.
Co-directeur de la Revue de Paris, à partir de sa nouvelle fondation en 1894.
L’œuvre scientifique de James Darmesteter couvre les langues, littératures et religions du monde iranien. Il s’est consacré à l’interprétation du recueil des textes sacrés de la religion mazdéenne, appelé Avesta, au moyen des ressources de la philologie, de la linguistique et de la mythologie comparée. À la différence de la glose et de la paraphrase (zend ou zand) de ce texte en pehlevi, qui est une forme de moyen-perse, mêlé de nombreux emprunts à l’araméen, l’avestique se rattache à la branche orientale des langues iraniennes, comme James D. l’a établi dans ses Études sur la grammaire historique de la langue persane, le premier volume de ses Études iraniennes (1883). Ce livre est la première description d’ensemble du persan, la branche occidentale de l’iranien, depuis les inscriptions achéménides jusqu’au persan moderne. Il a fait progresser la connaissance du moyen-perse. James D. a procuré une traduction complète de l’Avesta, d’abord en anglais (2 volumes, 1880-1883, complétés par un 3e volume en 1887), puis en français (Le Zend-Avesta, 3 volumes, 1892-1893). Selon James D. l’Avesta, en tant que texte rituel, ne pouvait être compris qu’avec la connaissance de la liturgie, transmise jusqu’à nos jours. En revanche, ses théories hardies sur la date très tardive des poèmes attribués à Zarathushtra, dont la doctrine aurait été influencée par la pensée hellénistique, n’ont pas été retenues. Après son élection au Collège de France, une mission en Inde (1886-1887), avec le soutien du gouvernement, lui permet de rencontrer des représentants du clergé des Parsis à Bombay et dans sa région, et de s’informer davantage sur la tradition et la pratique. Son travail de terrain s’est poursuivi au Nord-Ouest, dans la région de Peshawar, près de la frontière afghane, où il a recueilli un abondant ensemble de littérature orale en pashto, qu’il a fait paraître avec traduction et commentaire (Chants populaires des Afghans, 1888-1890). Dans l’introduction, il démontre que le pashto n’est pas une variété du persan, mais se rattache à la branche orientale des langues iraniennes. En réaction au soulèvement anticolonial qui se déroulait au Soudan depuis les années 1870, suscité par un chef politique et religieux qui se proclamait le mahdi ou « rédempteur » de l’islam, il publie un essai sur l’histoire de la sotériologie dans le monde musulman (1885). Grand lecteur de littérature universelle, James D. était féru de poésie dans diverses langues, entre autres en anglais ; il a notamment écrit sur Shakespeare. Patriote passionné par la France, il a écrit sur divers thèmes de politique intérieure et étrangère et aussi sur la religion. Dans ses écrits destinés au grand public, qui ont pris une importance croissante dans sa vie, il expose un messianisme républicain, fondé sur les valeurs de vérité, de justice et de paix entre les peuples, par une synthèse de la tradition juive, des Lumières et de la recherche scientifique de son époque.
I. Iranologie
1. Haurvatât et Ameretât. Essai sur la mythologie de l’Avesta, Paris : Franck (Bibliothèque de l’École des Hautes Études, fasc. 23), 1875.
2. Ormazd et Ahriman, leurs origines et leur histoire, Paris : Vieweg (Bibliothèque de l’École des Hautes Études, fasc. 29), 1877
3. De conjugatione latini verbi « dare », Paris : Vieweg, 1877.
4. Essais orientaux, Paris : A. Lévy, 1883.
5. Études iraniennes. 2 tomes. I : Études sur la grammaire historique de la langue persane.- II. Études sur la langue, la littérature, les croyances de la Perse antique, Paris : Vieweg, 1883.
6. Observations sur le Vendîdâd, Paris : Imprimerie Nationale, 1883.
7. Coup d’œil sur l’histoire de la Perse. Leçon d’ouverture du cours de linguistique et littératures de la Perse, faite au Collège de France le 16 avril 1885, Paris : Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, XLIV), 1885.
8. Le Mahdi, depuis les origines de l’Islam jusqu’à nos jours, Paris : Leroux, 1885.
9. Les origines de la poésie persane, Paris : Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, LIII), 1887.
10. Lettres sur l’Inde. À la frontière afghane, Paris : Lemerre, 1888.
11. Chants populaires des Afghans, 2 tomes, Paris : Imprimerie Nationale, 1888-1890.
12. The Zend-Avesta, 3 parts, Oxford: Clarendon Press. (Sacred Books of the East, vol. 4, 23, 31), 1880-1883-1887. 3e partie publiée par Lawrence H. Mills.
13. Le Zend-Avesta. Traduction nouvelle avec commentaire historique et philologique, 3 volumes, Paris : Leroux (Annales du Musée Guimet, t. 21, 22, 24), 1892-1893 ; réimpression, Paris : Adrien-Maisonneuve, 1960.
II. Écrits littéraires et politiques
1. Coup d’œil sur l’histoire du peuple juif, Paris : Calmann Lévy, 1881.
2. Lectures patriotiques sur l’histoire de France, à l’usage des écoles primaires, Paris : Delagrave, 1881 (sous le pseudonyme de J.D. Lefrançais).
3. Shakespeare, Macbeth. Édition classique, Paris : Delagrave, 1881.
4. Byron, Childe Harold’s Pilgrimage. Édition classique, Paris : Delagrave, 1882.
5. Essais de littérature anglaise. Paris : Delagrave, 1883.
6. Poésies de Mary Robinson. Traduites de l’anglais (en prose), Paris : Lemerre, 1888.
7. Shakespeare, Paris : Lecène & Oudin, 1889.
8. La légende divine, Paris : Lemerre, 1890.
9. Reliques scientifiques d’Arsène Darmesteter, recueillies par son frère, Paris : Cerf, 1890.
10. Les prophètes d’Israël, Paris : Calrmann Lévy, 1892.
11. Critique et politique. Préface de Mary Darmesteter, Paris : Calmann Lévy, 1895.
12. Nouvelles études anglaises, Paris : Calmann Lévy, 1896.
Gilbert Lazard et S.R. Sardesai (eds.), James Darmesteter Remembered. James Darmesteter memorial lectures (Pune, December 16-22, 1994), The Asiatic Society of Bombay, 1994. Textes de Gilbert Lazard, Dastur Kaikhusro M. Jamaspasa, Philippe Gignoux, Frantz Grenet, Pierre Lecoq, Eric Phalippou, Nahal Tajadod.
- Michel Bréal, "James Darmesteter", Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, t. IX, 1896, n° 39, p. lvi-lxxij (suivi d'une bibliographie par Edgard Blochet). Idem dans Annuaire de l'EPHE. Section des Sciences historiques et philologiques. Année 1895, Paris, 1895, p. 17-40. Voir sur www.persee.fr
- Gaston Paris, dans Penseurs et poètes, Paris, Calmann Lévy, 1896, p. 1-61.
- Gabriel Monod, dans Portraits et souvenirs, Paris, Calmann Lévy, 1897, p. 150-174.
- Yakov Malkiel, "Les frères Darmesteter et l'aube de la philologie française", Revue des études juives, 153 (1994), p. 383-401.